Certains dirigeants pensent qu’il faut attendre d’être “dans le rouge” pour solliciter le tribunal ou un conseil extérieur. D’autres, par crainte de représailles ou par peur de révéler au grand jour une situation d’échec, s’enferment dans le silence et se battent seuls, sans solliciter l’arsenal de dispositifs qui sont mis à leur disposition pour les aider.
C’est une erreur fréquente. En réalité, le droit français permet d’agir en amont, dès l’apparition de tensions de trésorerie ou de signes de fragilité. Et l’enjeu d’agir en amont n’est pas seulement une question d’efficacité dans le rebond de l’entreprise en fragilité, c’est aussi et peut-être surtout, une question d’hommes et de femmes qui vivent des moments très difficiles aux commandes d’une entreprise dont ils ont le sentiment d’avoir perdu le contrôle. Cela touche très directement la question de la santé mentale du dirigeant.
Anticiper les difficultés, c’est donner à son entreprise une vraie chance de rebondir, tout en protégeant ses salariés, sa réputation et son avenir. C’est aussi se donner la chance, en tant que dirigeant, de s’épargner des nuits blanches et une anxiété profonde qui bien souvent impactent le cadre de vie familial.
D’accord, mais alors, Anticiper, ça veut dire quoi au juste ? Analyse.
Anticiper les difficultés, c’est anticiper quoi exactement ?
Anticiper, c’est d’abord observer et rester vigilant face aux signaux faibles : un chiffre d’affaires en baisse, des charges qui augmentent, des retards de paiement qui s’accumulent. Ici rien de nouveau, c’est bien souvent le premier réflexe du dirigeant, et c’est tant mieux.
Mais Anticiper, c’est aussi identifier deux moments-clés dans la vie de l’entreprise, qui sont lourds d’implications au niveau juridique. Deux moments qui sont liés aux disponibilités de cash. Et bien souvent sur ce deuxième volet de l’anticipation, peu de dirigeants de TPE-PME sont sensibilisés :
D’abord, c’est l’entrée en état de cessation des paiements (L.631-1 du Code de commerce), lorsque la trésorerie disponible ne permet plus de couvrir le passif exigible. L’entrée en état de cessation des paiements, qui est une notion juridique forte, c’est le moment où l’entreprise n’a plus la capacité d’honorer tous ses engagements financiers. Elle commence donc à créer de la dette. Typiquement, dans cette période-là, le dirigeant ne cesse de faire des choix, passe son temps à décider qui il va payer en priorité, en acceptant de mettre en retard les autres fournisseurs qu’il pense pouvoir payer dans les prochaines semaines après réception des paiements de ses propres clients.
Je croise beaucoup de dirigeants, dont l’entreprise traverse une période difficile, qui me disent : « c’est bon, j’arrive à m’en sortir comme ça ». Malheureusement, cette période n’est jamais anodine. D’abord parce que le dirigeant pendant cette période ne se concentre plus sur l’essentiel, mais devient l’aiguilleur de cash de son entreprise. Outre le fait que ce ne soit pas une tâche très épanouissante, la charge mentale que cela représente, et je ne parle même pas du sentiment de mal-être issu du fait de sciemment mettre en retard les paiements de partenaires commerciaux, vient occulter ce qui compte vraiment : se concentrer sur les leviers de performance de l’entreprise pour la faire rebondir économiquement. Ensuite, parce que l’état de cessation des paiements est tout à fait encadré juridiquement, et que le législateur donne 45 jours au dirigeant pour déposer le bilan à partir de la date estimée d’entrée en état de cessation des paiements. Et le point est important : tout dirigeant qui ne dépose pas le bilan dans les délais, peut se voir reproché dans le cas d’une liquidation judiciaire à venir, une faute de gestion, et engage alors sa responsabilité personnelle avec des conséquences importantes en cas de liquidation pour insuffisance d’actifs. Il faut dont anticiper la cessation des paiements pour éviter d’y entrer.
Par déduction, vous l’avez compris, le deuxième moment clé à anticiper, c’est le dépôt de bilan. Déposer le bilan, c’est une expression qui désigne le fait de déclarer l’état de cessation des paiements auprès du greffe du tribunal de commerce. Déposer le bilan, c’est demander l’entrée en procédure collective de l’entreprise, souvent en Redressement ou en Liquidation Judiciaire. Les statistiques montrent que 80% des entreprises qui déposent le bilan liquident dans les 5 ans. 40% d’entre elles liquident dès l’ouverture de la procédure collective. Pourquoi ? Beaucoup d’entreprises y vont trop tard et sont moribondes, et le caractère public du Redressement Judiciaire peut nuire aux relations avec les partie prenantes (salariés, fournisseurs, clients) et ainsi précipiter les difficultés. Il faut donc identifier et combattre la cession des paiements pour en sortir avant de devoir ouvrir une procédure collective au bout des 45 jours règlementaires. Et 45 jours, c’est court…
Alors dans ce contexte, quelle est la meilleure approche pour anticiper ?
Quand les choses vont mal, le dirigeant doit se battre sur deux fronts : le premier, c’est le front habituel du business pour faire entrer des commandes et maintenir ses coûts à un niveau acceptable. Mais le deuxième, c’est la gestion de la trésorerie. Le cash est la clé, et pour le préserver, il y a des techniques.
Gérer la trésorerie, pour commencer, c’est y voir clair. Je conseille donc toujours aux dirigeants de travailler avec leur expert-comptable à l’élaboration d’un prévisionnel de trésorerie détaillé sur un horizon de 4 à 6 mois.
Ce prévisionnel permet :
- D’évaluer la date prévisible de cessation des paiements,
- De repérer les besoins de financement à court terme,
- Et en conséquence, de dimensionner les actions concrètes à mettre en place avant d’atteindre le point de non-retour.
C’est sur cette base que le dirigeant pourra décider, en toute lucidité, quelles solutions il doit mettre en place pour soutenir la trésorerie. Car des solutions existent. Et plus ce prévisionnel est disponible en amont des deux moments critiques présentés plus haut, plus le panel de solutions possibles est large.
« Plus le dirigeant anticipe, plus les chances de succès du rebond de l’entreprise sont élevées, car un panel large de solutions confidentielles s’offre à lui. Et à contrario, réagir après les 45 jours de cessation des paiements, c’est accepter le fait que seul le Redressement ou la Liquidation Judiciaire pourront être envisagés »
Quelles solutions pour éviter l’entrée en état de cessation des paiements, ou pour en sortir ?
Il existe de multiples outils qui permettent d’éviter d’entrer en état de cessation des paiements, ou d’en sortir. Déjà, il faut en comprendre la mécanique : le niveau de Cash disponible, c’est la différence entre le cash qui entre et le cash qui sort, ajouté au cash déjà disponible. Donc pour agir sur le niveau de trésorerie, il existe deux leviers : faire entrer plus de cash, et en faire sortir le moins possible. Jusque-là, rien de surprenant.
Mais ce que je constate souvent, c’est que certains dirigeants n’analysent la trésorerie que sous le seul spectre du business. Exemple : « Pour faire entrer plus de cash, il faut que je vende plus. » C’est vrai ! mais incomplet. Car si le client en question est mauvais payeur, ce n’est parce que l’entreprise facture que le cash entre. Sans parler du délai de paiement qui peut parfois aller jusqu’à plusieurs mois. Il faut donc porter son attention sur des sujets plus directement liés aux flux de trésorerie.
Il faut analyser et activer les leviers du Besoin en Fonds de Roulement (BFR). Assurer que la facturation des clients ait lieu au plus tôt après que la livraison de la prestation, suivre le délai de paiement de ses clients, essayer de les raccourcir, s’assurer qu’il n’y a pas de retard par rapport aux conditions contractuelles. Relancer en cas de retard, et le faire de façon structurée et systématique pour réduire au minimum le retard moyen de paiement. Si cela ne suffit pas, il existe des solutions pour les entreprises qui opèrent auprès de professionnels ou de collectivités comment l’affacturage ou le Dailly. Ce sont des solutions de financement. Le Lease-back peut aussi constituer une solution… Bref, vous l’avez compris, il existe des solutions pour faire entrer du cash plus rapidement dans la trésorerie.
Du côté de la sortie du cash, la logique est la même, mais inversée. Négocier des délais de paiement plus long. Payer les fournisseurs le plus tard possible, mais en respectant les délais de paiement contractuels. Aller chercher des solutions de financement comme le reverse factoring… Et restructurer la dette financière. Il ne faut pas avoir peur de recourir à certains dispositifs puissants qui permettent une restructuration en profondeur comme les procédures amiables ou procédures de prévention qui sont proposées par le Tribunaux de Commerce. Il s’agit ici des procédures de Mandat ad hoc et de Conciliation, confidentielles.
Contrairement à une idée reçue, le tribunal n’est pas seulement un organe de sanction. Loin de là. Les tribunaux de commerce, ou tribunaux des activités économiques, peuvent être saisis avant même que les difficultés ne deviennent réelles. On parle alors de “difficultés prévisibles” (article L.611-4 du Code de commerce). Leur objectif est clair : préserver les emplois, maintenir l’activité et assurer la pérennité de l’entreprise. Cette approche préventive fait partie intégrante du droit des entreprises en difficulté et s’inscrit dans la logique de protection du tissu économique local. Ces dispositifs amiables et confidentiels, démontrent un taux de succès de 70%. Et une fois de plus, plus la procédure est ouverte tôt, plus les chances de succès sont élevées.
Agir tôt, c’est protéger son avenir
Anticiper, c’est préserver la liberté de décision du dirigeant. Attendre, c’est risquer de la perdre. Un dirigeant qui agit dès les premiers signes de fragilité :
- Garde la confiance de ses partenaires,
- Protège sa réputation et celle de son entreprise,
- Conserve des leviers puissants pour restructurer, renégocier ou redresser,
- Préserve sa santé, physique et mentale.
En somme, le dirigeant qui agit dès les premiers signes de fragilité fait preuve de bonne gestion. En matière de difficultés d’entreprise, soyez assurés que le temps est votre meilleur allié… à condition de ne pas le laisser filer.
