Je ne compte plus le nombre de dirigeants qui viennent me voir, usés de faire face seuls aux difficultés de l’entreprise depuis des mois, et qui doivent gérer au quotidien une trésorerie à peine positive ou à la limite du découvert autorisé. Leur quotidien est souvent fait d’un arbitrage incessant entre les factures et les échéances à régler, les éloignant un peu plus de la barre du navire qu’ils ont de plus en plus de mal à manœuvrer. Pourtant, au lieu d’en arriver là, il aurait été généralement possible de procéder à une restructuration financière de l’entreprise, qui lui aurait donner les marges de manœuvre nécessaires pour ne plus avoir à se soucier quotidiennement du cash disponible sur le compte en banque. Malheureusement, il n’est pas rare qu’au moment où l’on se parle, le seul recours possible pour opérer cette restructuration soit le Redressement Judiciaire. Pourtant, des solutions existent bien en amont, qui permettent aux dirigeants qui anticipent ce type de problématiques de prendre des mesures avant que les difficultés ne soient réelles, et donc de garder le contrôle. Analyse.
Qu’est-ce que la restructuration de la dette ?
Une entreprise qui réalise du profit est, à de rares exceptions près, toujours génératrice de cash. Le profit en effet, que l’on représentera par le résultat net, permet, lorsqu’il est positif, de générer ce que l’on appelle de la Capacité d’Autofinancement (CAF). Quand la CAF est inférieure aux ressources dont l’entreprise a besoin pour financer son développement, alors d’autres accès à des liquidités sont possible, comme le recours à la Dette. Quand le dirigeant réalise un emprunt auprès de la banque, par exemple, il le fait généralement avec un niveau élevé de confiance dans le fait que l’entreprise aura la capacité de rembourser les échéances à son créancier sur un horizon de 5 à 7 ans. Cependant, on le sait bien, il n’est pas rare que le démarrage d’une entreprise ne se passe pas comme prévu, ou que le retournement économique d’un marché réduise temporairement le profit, et donc la CAF générée par l’entreprise, rendant le remboursement des échéances intenable.
Restructurer la dette, c’est tout simplement adapter les engagements financiers de l’entreprise à sa capacité à générer de la CAF. Concrètement, il s’agit de renégocier les dettes bancaires, fiscales, sociales ou fournisseurs afin d’alléger momentanément le poids qu’elles représentent sur la trésorerie, de retrouver une situation de cash-flow positif et de sécuriser la continuité de l’exploitation.
Les solutions peuvent aller du simple report d’échéances à la réduction du montant dû, voire dans certains cas à une conversion de la dette en capital.
L’objectif de la restructuration de la dette est alors de soulager immédiatement la trésorerie, de gagner du temps et des moyens afin de rétablir un équilibre opérationnel durable.
Quand envisager une restructuration ?
La restructuration devient pertinente dès que le poids de la dette empêche l’entreprise de couvrir ses charges courantes : remboursements bancaires, loyers, cotisations sociales, impôts, factures fournisseurs… En termes financiers, on peut parler de taux de levier qui se dégrade, c’est-à-dire un ratio Dette Nette/EBITDA qui augmente au point de ne plus être supportable, généralement au-delà de 3, mais cela est variable en fonction des secteurs d’activité. De façon plus concrète, cette même entreprise consomme ses réserves de cash, avec des capitaux propres qui diminuent et une trésorerie qui risque de devenir insuffisante pour faire face aux dépenses courantes et à la charge de dette.
Attendre aggrave souvent la situation. Plus la démarche est anticipée, plus les marges de manœuvre sont grandes. En effet, le rebond opérationnel, qui consistera à donner les moyens de l’entreprise à générer à nouveau suffisamment de CAF, nécessitera bien souvent des ressources financières, et souvent un peu de temps avant de porter ses fruits. Or, dans la situation indiquée plus haut, ce sont bien les ressources et le temps qui font défaut. La bonne approche est donc celle de l’anticipation.
C’est au travers d’une démarche préventive que l’on peut agir avant que l’entreprise ne soit en cessation des paiements, alors qu’un dialogue sein est encore possible avec les partenaires financiers.
Les quatre voies possibles pour restructurer les dettes
1. La négociation directe
C’est le réflexe que certains dirigeants ont assez rapidement quand les difficultés se présentent. Ils contactent les créanciers directement pour négocier un aménagement : reports d’échéances, allongement de la durée du prêt, moratoires à court terme… Cette solution offre une certaine souplesse, mais ses impacts restent souvent limités. Cette étape est cependant essentielle : il est préférable en effet, avant d’activer les autres recours possibles présentés plus bas, que le dirigeant ait essayé une approche directe et ouverte avec les partenaires pour leur demander, sans être alarmiste sur la situation réelle de l’entreprise, de l’aider à passer le cap. Notez cependant que dans le cas des Prêts Garantis par l’État (PGE), le dialogue est souvent écourté. La banque risque de perdre la garantie par l’état en cas d’accord bipartite, préfèrera généralement décliner la demande. Mais pas de panique, d’autres recours existent pour y parvenir !
2. Les organismes publics de soutien
Le Médiateur du Crédit, organisme rattaché à la Banque de France, aide à obtenir des concessions de la part des banques, notamment en cas de risque de perte du découvert autorisé, ou du refus de la banque d’une renégociation des conditions d’un prêt en cours. Le Médiateur du Crédit est aussi habilité à intervenir pour restructurer les PGE dont le capital initial est inférieur à 50 000 €.
Lorsque les dettes sont des dettes fiscales ou sociales, la Commission des Chefs des Services Financiers (CCSF) regroupe les dettes fiscales et sociales pour proposer un plan d’étalement coordonné entre les différents organismes publics. A noter également que le SIE et l’URSSAF sont tout à fait ouverts à la mise en place d’échéanciers en direct avec les chefs d’entreprises proactifs.
Ces dispositifs sont gratuits, accessibles à tous les dirigeants, et permettent de reprendre la main, dans une situation de tension légère sur la trésorerie, sans passer par le Tribunal de Commerce ou par le Tribunal des Activités Economiques.
3. Les procédures amiables de prévention
Si les tensions sont plus fortes, il va alors être nécessaire de passer par la case Tribunal. Mais pas de panique ! Avant l’étape de la procédure collective, il existe les procédures de Prévention que sont le Mandat ad hoc et la Conciliation.
Très peu de dirigeants les connaissent, et pourtant elles sont considérées aujourd’hui comme le meilleur moyen de sauver les entreprises. Ce n’est pas pour rien que beaucoup de grandes entreprises y ont recours, en toute discrétion. Ces procédures permettent de négocier avec les créanciers dans un cadre confidentiel et sécurisé.
Leur efficacité est largement reconnue : plus de 70 % de réussite selon les données judiciaires. Cela signifie que dans 70% des cas, l’entreprise évite la procédure collective et génère à nouveau suffisamment de liquidités pour se développer.
Elles offrent également une légitimité renforcée dans les discussions, tout en maintenant le dirigeant 100 % aux commandes. Aucun risque que le Mandataire ad hoc ou Conciliateur, désigné par le Président du Tribunal sur proposition préalable du dirigeant, prenne les rênes de l’entreprise. Ceci ne fait pas partie de ses attributions. De plus, le dirigeant garde d’autant plus la main qu’il propose au Président du Tribunal de Commerce le nom du professionnel qu’il souhaite voir ainsi désigné pour mener la procédure.
Ces procédures permettent d’obtenir des délais plus longs et des concessions plus importantes, de geler certaines poursuites le temps des négociations, et de préserver la réputation de l’entreprise car la confidentialité est totale (aucune mention au Kbis).
4. Les procédures collectives
La sauvegarde ou le redressement judiciaire permettent de faire geler le passif de façon systématique, et ce dès l’ouverture de la procédure. De nouveaux échéanciers sont en réalité imposés aux créanciers, sur un horizon long, jusqu’à 10 ans, parfois plus en fonction du secteur d’activité. Au contraire des procédures de prévention, qui sont confidentielles, ces procédures sont publiques, avec mention au journal officiel, inscription au Kbis.
Les TPE et PME ont aussi accès à l’ensemble de ces dispositifs
Contrairement aux idées reçues, les TPE et PME peuvent bénéficier des mêmes mécanismes de restructuration que les grands groupes. La différence ? Elles sont malheureusement souvent moins bien informées et moins bien accompagnées.
Pourtant, agir tôt peut permettre d’éviter la spirale de la dette : En restructurant les échéances, en allégeant les charges de trésorerie et en rendant possible le financement d’un plan de rebond opérationnel, l’entreprise à plus de chances de s’en sortir par le haut. Et le dirigeant évite ainsi des mois de galère et de nuits blanches.
Plus le dirigeant agit tôt, plus les solutions sont nombreuses : Les partenaires financiers sont à l’écoute, la confiance est préservée, et les procédures restent discrètes et maîtrisées.
En conclusion
« Plus la restructuration est engagée tôt et en profondeur, plus elle est efficace. »
Anticiper, ce n’est pas un aveu d’échec : c’est un acte de bonne gestion, salué par les tribunaux et l’ensemble des partenaires économiques.
